Cahier de doléances du baillage de Melun

Le cahier de doléance du baillage de Melun, 1789
(M. de Gouy, Grand Bailly)

Au Roi

Sire,

À peine les trois ordres du Bailliage de Melun et Moret ont-ils été rassemblés, qu'un cri unanime de reconnaissance s'est élevé vers le Souverain auquel ils doivent, après 175 ans, le Bienfait de leur réunion.

À ce premier élan de nos cœurs ont succédé les larmes précieuses de l'attendrissement, bientôt le tableau de notre long malheur s'est présenté à nos yeux et nous aurions cru manquer à votre Majesté de lui en dissimuler l'étendue, lorsque sa bonté prend l'engagement paternel d'en adoucir les rigueurs, nous travaillons donc en ce moment, ô notre bon Roy, à placer dans le cadre de notre existence, tous les maux qui l'ont affligé et nous ne doutons pas que Votre Majesté n'attende avec impatience le moment où elle aura la gloire, en présence de la Nation assemblée, d'en effacer jusqu'au souvenir.

Mais cette heure désirée n'a point encore sonné pour nous et il est une classe d'infortunés qui se reprocheraient d'avoir trompé les intentions bienfaisantes de leur Roy, s'ils ne dénonçaient pas dès à présent à sa Justice les maux dont il peut suspendre le cours et s'ils lui refusaient la satisfaction d'anticiper les effets de sa bienfaisance.

Ces infortunés, Sire, sont les citoyens qui habitent vos capitaineries. Savons-nous bien ce que nous faisons lorsque nous osons former la prétention de restreindre vos plaisirs ?

Oui, Sire, nous le savons. Si vous n'étiez qu'un Roy, nous garderions le silence sur un objet si délicat, mais vous êtes notre père, et nous lisons dans votre âme que vos plaisirs s'arrêtent là où nos peines commencent. Daignez écouter un moment nos supplications respectueuses et tous nos vœux seront exaucés. Au centre du bailliage de Melun et de Moret est située la ville royale de Fontainebleau et la forêt de ce nom c'est de ce lieu si cher à nos cœurs, quand Votre Majesté l'habite, que s'élance toute l'année dans nos guérets une immense quantité de bêtes fauves et autres animaux qui ravagent sans ménagement nos campagnes.

Ces ennemis communs, nous devons, dit-on, les respecter : nous devons les nourrir ; et ce devoir pénible, nous ne l'avons que trop fidèlement rempli depuis deux siècles ; jusqu'ici, Sire, nous n'avons presque que semé pour eux et tandis que Votre Majesté à affranchi le serf de Jura qui travaillaient pour son maître, des citoyens libres sont restés les esclaves destinés à nourrir des troupeaux inutiles à la subsistance des peuples et à charge même aux finances de leur Roy.

Donc le moment de la restauration de la patrie, cet objet important attirera le regard de notre père commun. Il sentira que quelques lieues de pays suffisent à ses plaisirs ; il sentira qu'un petit nombre d'animaux excédera la quantité que lui seul peut détruire, il sentira que la multitude de gardes et d'emplois est inutile, puisqu'il aura alors autant de gardes que de sujets et qu'ils se feront tous un devoir d'être le conservateur de ses réserves.

Le Roy Henry n'en avait de plus fidèles que ceux là. Il sentira que les abus prolongés demandent de grandes réformes, et ces réformes il les fera sans peine pour le bonheur de ses sujets.

Mais, Sire, l'ouvrage est grand, le temps est court, le mal est urgent et notre position est encore aggravée ; un hiver rigoureux vient de resserrer dans la terre le germe fécond de la végétation ; la subsistance des peuples n'est point assurée, la misère est générale, l'inquiétude universelle et l'économie nécessaire. Cependant nos champs commencent à être dévastés et nous doutons encore s'ils pourront rendre la semence qui leur a été confiée et que l'on destine à alimenter notre future espérance ; faudra-t-il, aux dépens de notre propre substance nourrir ces hôtes parasites que notre condescendance encourage et que nos cris n'effrayent plus.

Ah, Sire, si vous les voyez, chaque jour, ravager nos héritages, Votre Majesté gémirait plus que nous, peut-être, et d'un mot, d'un seul mot, elle mettrait fin aux angoisses qui nous désolent.

 

Nous ne demandons pas que sans examen, sans prudence, Votre Majesté connaisse un ouvrage qui demande une attention réfléchie, mais nous la supplions de donner ordre que l'on livre la guerre à nos ennemis et que nous puissions les repousser dans leur enceinte.

Nous ne demandons qu'à défendre nos moissons, qu'à conserver cette denrée précieuse, espoir de la France et de nous-mêmes.

Nous ne désirons que de nous réserver de quoi parvenir jusqu'à cette époque glorieuse et prochaine où tout l'empire retentira des justes louanges de Votre Majesté, où son nom sera béni comme ses travaux ou la constitution affermie par une législation sage et part une administration permanente nous fera regretter à chacun de n'avoir qu'un cœur à offrir à notre Roy.

Nous sommes avec respect, Sire, de Votre Majesté, le très humble et très fidèle sujet,
M. de Gouy