Histoire du bois Gautier

 
Le bois Gautier, entre la Seine et la route de Bourgogne, étend ses soixante-dix hectares sur la commune d'Avon. Qu'en soient marris les amateurs de contes, son histoire n'a rien d'extraordinaire.
Ce qui en fait le prix, ce qui le rend exceptionnel, c'est la continuité d'une bonne gestion depuis l'aube de l'histoire de France jusqu'à ce jour. Les atteintes qu'il eut parfois à subir, comme tout autre bois, ne furent que des égratignures.
     
 
 

La nuit des temps

Pédologie et archéologie nous apprennent qu'aux temps gallo-romains ce bois était en partie défriché, dans une proportion que nous ignorons, puis qu'au temps des grandes invasions, ce bois combla ses vides.

Sous le règne de Louis IX (Saint Louis), il naît à l'histoire sous le nom de Bosco Galcheri in Byera, c'est-à-dire, Bois Gautier en pays de Bière. En 1266, l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés l'acquiert de Jean de Villiers (futur Grand Maître des Hospitaliers). Elle le conservera jusqu'à la Révolution.

     
 
 
 
 
     
 
 

Le bois ecclésiastique

Les plans qui furent dressés du Bois Gautier, plan de 1693 par Louis Billaudel, arpenteur du Roi (collection particulière), plan de 1757 par François-Urbain Chaillou, ingénieur géographe du Roi (Arch. Dép., série B, Maîtrise des eaux & forêt de Fontainebleau. liasse 47), nous disent son aménagement.

Celui-ci était conforme à l'article II du titre XIV de l'ordonnance "Des bois appartenant aux ecclésiastiques et gens de mainmorte" donnée en 1669.

Il y est prévu que le quart de la superficie d'un bois constituait un "quart de réserve", sur lequel on reviendra, et que les trois quarts restants devaient être divisés en vingt-cinq "coupes ordinaires", où le taillis exploité de vingt-cinq ans fournissait du bois de chauffage au "bénéficier". Ce bois pouvait aussi être vendu par adjudication à des marchands de bois (ici agrées pour la provision de Paris) dans les mêmes conditions que pour la vente des bois du Roi.

Le "quart de réserve" fournissait du bois d'œuvre, capital que le "bénéficier" (dans de cas du Bois Gautier c'est "l'abbé commandataire" de Saint-Germain-des-Prés) ne pouvait réaliser "qu'en cas d'incendies, ruines, démolitions, pertes et accidents extraordinaires…", qu'avec l'avis favorable du Grand Maître des Eaux et Forêts pour obtenir une lettre patente du Roi en autorisant l'exploitation.

Le "quart de réserve" du Bois Gautier, formait une bande longeant la route de Bourgogne sur toute la longueur du fonds. Rectangle de trente cinq arpents et sept perches, peuplé de chênes et de Charmes sur un sol riche et pierreux. Les "coupes ordinaires", longues bandes perpendiculaires au "quart de réserve" étaient repérées par les laies et par des petites bornes au droit du "quart de réserve". Chaque "coupe ordinaire" du Bois Gautier, mesurait donc un peu plus de quatre arpents (environ 2 ha.).

 
 

Bonne gestion
et entorses

Cette gestion simple, mais régulière, du bois ecclésiastique donnait de meilleurs résultats que la gestion de la forêt royale où les caprices du Roi et le mauvais état chronique des finances du royaume décidaient de l'assiette des coupes. Il n'est, pour s'en convaincre, qu'à contempler une collection de cartes anciennes de la forêt de Fontainebleau et d'y trouver un Bois Gautier toujours bien boisé.

Bien-sur, il se commit des entorses, en voici deux :

En 1720 Jean Debosne, marchand de bois pour la provision de Paris, adjugea et exploita trente-cinq arpents (18 ha. env.) "hors aménagement" (Arch. Dép., série B, Maîtrise des E. &F. de Fontainebleau. liasse 47).

Parfois on s'attaquait au "quart de réserve", ainsi, sous Louis XV, l'abbé commandataire étant Louis de Bourbon-Condé, célèbre pour ses succès auprès des demoiselles, ses défaites devant l'ennemi pendant la guerre de sept ans et son action à la tête de la Franc-maçonnerie; ce très grand seigneur obtint un arrêt du conseil d'état du Roi l'autorisant à exploiter les quarts de réserves du Bois Gautier, du Bois de Samoreau et du Bois de Saint-Germain-Laval en même temps, sans aucune justification (Bibliothèque municipale de Fontainebleau, manuscrit 8, pièce 13, état des bois nationaux ci-devant ecclésiastiques…).

 
 

Les temps de la
Révolution

Pendant la Révolution le Bois Gautier a été exploité dans sa totalité, mais sans coupe rase. Aux premiers jours des troubles révolutionnaires, les Avonnais firent comme tous les Français, ils cessèrent de payer l'impôt et commirent mille délits à l'encontre des fonds royaux, ecclésiastiques et communaux. Dans le même temps, Paris manquait cruellement de bois de chauffage.

Le procureur du pouvoir auquel destinataire de la lettre (qu'il avait conseillée) était Dubois d'Arneuville, magistrat de l'ancien régime qui sera maintenu à son poste jusqu'en l'été 1793. C'était un moyen de remettre la forêt en ordre par des recepages de taillis, où cela était utile, et de parer aux besoins parisiens en expédiant par la Seine les bois exploités.

Sous la Convention, le comité exécutif provisoire, en date du 12 septembre 1793 fit une "proclamation" (acte gouvernemental) et une lettre au "Procureur du pouvoir exécutif de la ci-devant maîtrise de Fontainebleau", mandant une coupe du quart de la réserve du bois de Samoreau et de la totalité du Bois Gautier.

Le 3 brumaire an II (octobre 1793), la Convention met en place une nouvelle équipe, Lucien Noël étant administrateur provisoire avec comme adjoints Prodhomme et Guay, deux anciens marchands de bois, on pouvait craindre le pire. Il n'en fut rien.

Six pieds corniers furent marqués (1), on marqua en réserve 2010 chênes anciens, modernes et baliveaux de l'âge du bois. Dans le "quart de réserve" les baliveaux de l'âge du bois avaient 35 ans (âge du taillis recrû après la coupe de 1759) et les modernes étaient les survivants des baliveaux laissés en 1759, parfois antérieurs à l'aménagement de 1697 ce qui leur donnerait au moins 97 ans. Plus ces chênes, on mit en réserve 240 alisiers et des fruitiers.

Si on additionne chênes, alisiers et fruitiers, on obtient 16 baliveaux par arpents mis en réserve. On peut donc dire que les administrateurs révolutionnaires on très exactement respecté la vieille ordonnance royale de 1669.

L'adjudication de cette coupe se fit à un marchand de bois parisien, Jacques-Hubert Marcellot, pour 97.900 livres. D'après les procès-verbaux et le récolement du 19 nivôse an IV (8 janvier 1796) l'exploitation s'est faite dans de bonnes conditions, les réserves ont été respectées et les rejets sont "beaux, vifs et bien venants…". Pour protéger les rejets des bestiaux, les forestiers avaient mis une clause particulière à l'adjudication portant au creusement d'un fossé "depuis le Moulin de Valvins jusqu'à la maison de Saint-Aubin, du coté de la rivière Seine".

 
 

La vente des biens
nationaux

On a glosé d'abondance sur la vente des biens nationaux et la loi de 1790 l'autorisant.

Or elle n'autorisait que la vente de bois de moins de cent arpents distants de plus de mille toises d'une forêt ci-devant royale (cette loi intégra au domaine national d'innombrables petites forêts ecclésiastiques). La loi fut appliquée et le Bois Gautier en profita.


 
 
Il faut, ici, citer l'attendu de cette loi de la main de nos Pères en République¨ :

"….que la conservation des bois et des forêts est un des projets les plus importants et les plus essentiels aux besoins et à la sûreté du royaume, et que la Nation seule, par un nouveau régime et une administration active et éclairée, peut s'occuper de leur conservation, amélioration et repeuplement, pour en former en même temps une source de revenu public…"

 
 

Les empiétements

Le Bois Gautier jouxtait la maison achetée en 1780 par Edme-Louis Daubenton, garde et démonstrateur du cabinet d'Histoire Naturelle du Roi. Il y mourut en 1785 laissant le domaine à sa veuve.

Survint la Révolution et la Veuve Daubenton tenta d'annexer à la faveur des troubles cette part du Bois Gautier, voisine de Saint-Aubin nommée "Larry du Bois Gautier". Il s'en suivit un imbroglio juridique, dont on possède toutes les pièces, qui dura jusqu'au 7 messidor an VI (25 juin 1798) qui débouta définitivement la demanderesse et confirme que la Bois Gautier est en sa totalité un bien de la Nation.

Vint le Consulat, alors qu'aucun danger ne paraissait menacer le Bois Gautier, le pouvoir central voulut transférer la propriété de plusieurs forêts, dont le Bois Gautier, au Prytanée militaire. Le préfet de Seine-et-Marne communiqua aux forestiers les montants des estimations, ce qui les informa du mauvais coup se tramant. Les forestiers, avec à leur tête Lucien Noël, contrebattirent avec force ces prétentions et le 15 floréal an IX (4 mai 1801) on procéda à l'estimation des bois à remettre au Prytanée en remplacement du Bois-Gautier.

Enfin, le 30 Janvier 1810, un sénatus-consulte déclara inaliénables les biens de la couronne et ordonna que les parties de bois domaniaux épars sur les rives des forêts de la couronne fussent réunies à celles-ci.

 
 

Nous voici héritiers de, bientôt, 750 ans de bonne gestion du Bois Gautier.

(1)Emplacements des six pieds corniers :-1, bord du chemin de Bourgogne près du Ru de Changis, -2, près le moulin de Valvins,-3, près le pré de Samoreau,-4 & 5 près la maison de Saint-Aubin,-6, à l'encoignure du parc de Saint-Aubin près du bornage de la forêt.