La forêt de Fontainebleau au 19ème sciècle

A compter de 1816, les premiers touristes, la plupart anglais, et les peintres de la première école de Barbizon découvrent la forêt de fontainebleau.

Sous le règne de Louis-Philippe, le pin sylvestre fut planté abondamment sur les landes et les zones rocheuses ; presque 6 000 ha furent ainsi reboisés en 20 ans et les droits d'usage furent réduits. Dans le même temps, les carrières de grès en pleine extension, bouleversèrent des cantons entiers de la forêt et l'on on vit apparaître un grand nombre de routes nouvelles, comme la route du Roi, les routes de la Solle et d'Amélie, la route tournante du Cassepot.

Chaque zone reçut un nom et il fallut trouver rapidement 800 noms, qu'on utilise encore aujourd'hui, correspondant aux divers lieux-dits qui n'avaient pas été baptisés par la tradition populaire.

En 1839, C.F. Denecourt édite un guide du Château agrémenté de descriptions de promenades forestières en calèches. Il est le quatrième à produire ce genre d'ouvrage, mais il innove en s'improvisant guide rémunéré. Son commerce emporte un honorable succès.

La forêt d'alors bruit des cent métiers qu'elle abrite :

Imaginons-la profondément investie par les troupeaux communaux ravageant platières et plaines que l'usage leur concède, sortant des parcours réglementaires dès que la garde se relâche.

Imaginons-la percée de carrières de grès où l'on taille d'énormes pavés et traversée de lourds charrois portant cette production à la Seine.

Imaginons les clairières occupées par des charbonniers s'affairant autour des meules fumantes, ou par des scieries mobiles travaillant à la vapeur.

Imaginons l'espace de grevé de quinze parquets, vastes enclos cernés de palissades, cultivés pour l'engraissement des gibiers destinés aux chasses officielles.

En ce temps, le débitage se fait en forêt ; autour des nombreux bûcherons et bûcheronnes s'activent les ébrancheurs, les écorceurs, les équarisseurs, les conducteurs de triqueballes et leurs bêtes, les couples de chevriers et de renardiers. Enfin, tout un peuple paysan vient arracher au domaine quelques menus produits dont le revenu fera l'appoint de sa misère. Fagoteuses, botteleurs, sabotières et sabotiers, balaitiers, chasseurs de vipères, cueilleurs d'alises, de nèfles, de baies de genévriers, spartiers fauchant la molinie, ramasseurs de lichens, sécheurs d'amadouviers, gratteurs de tille, pauvres journaliers loués à la foire aux hommes, tous s'activent.

C'est dire que de massif, il n'y en a guère et que, malgré les efforts entrepris depuis Colbert, le domaine n'est fait, pour moitié, que d'îlots arborés le reste n'étant que landes ingrates.

Une étape décisive fut atteinte en 1837 grâce aux peintres de l'école de Barbizon, qui obtinrent l'annulation de coupes de vieux arbres et s'opposèrent aux plantations de pins dans leurs cantons favoris.

1849, toute la région est en émoi, le chemin de fer arrive !

Dans toute l'Île-de-France, l'industrie naissante a besoin de matières premières, tant de bois de construction que de bois feu, tant pour l'industrie chimique qui réclame des tanins et les distillats de résines diverses et pour laquelle on implante de nouvelles espèces (Mélèzes, Épicéas), que pour l'industrie papetière (Balzac s'interroge sur les transformations sociales induites par la généralisation du papier de bois). Alors dans les landes, l'administration forestière, fait planter des résineux, suivant en cela autant le conseil d'Élisée Reclus que celui de Frédéric Le Play réclamant que "partout où la qualité du chêne n'est point nécessaire, on plante des pins pour économiser la peine des hommes…".

Avec le chemin de fer, viennent les touristes à pieds. Aubaine pour Denecourt qui multiplie ses éditions de cartes, de guides et ses ventes de souvenirs. Il ne peut, seul, répondre à l'affluence et pour un temps la municipalité crée un corps de guides assermentés avec uniforme, trompe et médailles. Suivent les varappeurs, puis toutes les espèces de touristes qu'on connaît toujours.

Alors, l'inévitable se produit, c'est la guerre de tous contre tous, chacun étant convaincu que l'intérêt général de la forêt passe par ses visées particulières. Les peintres déclarent la guerre aux pins, puis aux guides et particulièrement à Denecourt, l'accusant de mener le peuple en des lieux qui sont leurs réserves de motifs. Celui-ci répond que nenni bien qu'il édite sur Paris pour les nouveaux "Trains de plaisir" une brochure proposant la visite des sites "remarqués des peintres". Pour son compte, il déclare la guerre aux fumeurs de cigares et, avec une rage particulière, aux carriers !

Les bergers de troupeaux communaux se plaignent du trouble engendré par les cohortes citadines et particulièrement par les promenades à ânes. Tous les touristes dénoncent le scandaleux vandalisme des délits de bois commis par les indigents, mais se séparent en deux camps d'irréductibles, les chasseurs et les anti-chasseurs.

Enfin, tous sont d'accord sur un point :"Tout est de la faute de l'administration !".

De ce tapage n'émerge qu'un fait, le décret du 13 Août 1861, mettant hors de l'exploitation ordinaire 1631 hectares du domaine, dont 1097 au titre des réserves artistiques. Ces mesures intégreront le plan d'aménagement de 1904 et seront maintenues jusqu'en 1940.

Pendant tout le 19° siècle les services des Eaux et Forêts ont la sagesse de ne pas répondre aux interpellations diverses et de poursuivre leurs travaux de foresterie. C'est en Juillet 1914, que la direction générale, sous la plume de M. Geneau, publie un rapport conclusif sur ce qu'elle nomme "La crise du romantisme" (voir les écrits ici reproduits) .

 1918 est la naissance d'un nouveau siècle. Plus ou moins rapidement les usages ancestraux de la forêt disparaissent et les carrières sont abandonnées. Les conceptions des peintres changent, voici le manifeste d'Henry Bataille, qui représente "l'école de Paris" dans le premier numéro des "œuvres libres" en 1921 à propos de Fontainebleau :
"Pour une fois l'administration avait eu raison... Il fallut que vinssent d'autres groupes d'artistes pour que fussent compris la beauté des pins, la poésie des coups de soleils roses sur les écorces et les cimes étagées, les sols plats sans herbes parasitaires… Aujourd'hui le chêne est démonétisé, c'est un gros monarque ronflant qu'on abandonne à l'équarisseur !"