A la Mémoire
de
Maurice BOURGES

Introduction

En automne, un promeneur, un "amant de la Nature", comme on disait au commencement du siècle dernier, entre pour la première fois dans la forêt de Fontainebleau. Reçu chez un de ses amis, non loin de Bois-le-Roi, à Brolles, hameau situé sur une hauteur dominant la Seine, il a pénétré seul dans la forêt, l'après-midi, et il a pris la première route venue, traversant une région boisée qui n'a rien de très remarquable. Mais il n'a pas fait deux kilomètres sur cette route que, tout à coup, il entrevoit à sa droite, au travers des arbres, un site dont l'aspect est tout différent de ce qu'il vient de voir, et, puisqu'il ne connaît pas cette région, tout différent de ce qu'il a jamais pu voir ailleurs.

Ce sont les rochers de Fontainebleau.
Notre promeneur, quitte aussitôt la route macadamisée qu'il suivait négligemment ; il s'élance à travers bois et franchit la masse des grandes fougères que commencent à bronzer les teintes automnales ; il débouche dans une clairière montueuse toute fleurie de bruyères, les unes roses, les autres déjà passées et dont les tons orangés sont comme empreints d'une chaleur méridionale. Là, sur les flancs de cette colline de sable, se trouvent épars d'énormes blocs de grès, aux contours arrondis, à moitié enfoncés dans la masse sableuse, le sommet du coteau est formé comme par une grande table de grès, un banc presque continu, coupé par des cassures à surfaces conchoïdes, d'où il semble que tous les autres rochers se sont détachés. Au milieu des bruyères en fleurs, des genêts en fruits, les pyramides des genévriers et quelques maigres bouleaux viennent çà et là donner à ce paysage morne ses touches caractéristiques.

L'amant de la Nature, monte sans chemin à travers les broussailles, dans le sable, contourne ou escalade les rochers, et si, arrivé sur le plateau, il jette autour de lui un regard circulaire, partout se montre l'immense forêt, qu'en cet endroit perdu il peut croire encore sauvage. Assez près de lui, il distingue de longues bandes rocheuses identiques à celle sur laquelle il se trouve, toutes dirigées dans le même sens ; la vaste suite de leurs rocs fragmentés ressemble à quelque grand village détruit et fossilisé ; plus loin d'autres lignes encore, vagues et estompées ; enfin, à l'horizon, la masse de la forêt, d'un bleu foncé comme l'horizon méditerranéen à certaines heures du soir.