en trois catégories : la moins nombreuse était formée de ceux qui lui donnaient de l'argent sans rien lui demander ; la seconde, de ceux qui désiraient être immortalisés et voulaient que leur nom fût donné à un rocher (il fallait verser plus de 100 francs pour cela) ; la troisième, la pIus nombreuse, était formée par les petits souscripteurs qui se contentaient chacun d'un arbre; l'arbre est mortel mais il a au moins des chances très sérieuses de vivre plus longtemps que le souscripteur dont il porte le nom. C'est pourquoi, dans les guides Denecourt, on voit avec étonnement des roches ou des arbres désignés sous des noms parfaitement inconnus, d'allure bourgeoise et souvent grotesque, se mêler ça et là aux dénominations empruntées aux grands poètes, aux artistes connus ou aux dieux de l'Olympe. Ainsi, dans la même promenade, on rencontre le Passage d'Orphée, le Crocodile de l'Enfer et la Roche de César Couchaër.

En 1865, Denecourt avait déjà recueilli près de 9.ooo francs de souscriptions, mais il y avait eu des hauts et des bas dans ses finances. A un certain moment, Denecourt se voyait obligé de consacrer encore à ses chers sentiers une partie de ce qui restait de son modeste avoir. Ses amis le supplièrent d'en rester là et de ne plus créer de nouvelles promenades. Il le promit, et édifia sous les grès une grotte pour sceller dans le roc sa résolution: c'est la Grotte du Serment. Mais le Sylvain était incorrigible et ne tarda pas à tracer de nouveaux sentiers dans la Gorge-du-Houx, et il y creusa tout d'abord une nouvelle grotte qu'il nomma la Grotte du Parjure! Ceux qui visitent cette excavation (fort artificielle) ne savent pas pourquoi elle porte ce nom. Au bout d’un certain nombre d'années Denecourt n'en donne plus l'origine, et lui, qui recommande de ne pas abandonner son fil d'Ariane invoque quelque Ariane abandonnée ayant tracé ces vers de bouts-rimés sur les parois de la grotte:

Autrefois vous m'aimiez, vous disiez : Je le jure
A toi seule appartient tout mon cœur pour toujours...
Mensonge et faux-serment ! La grotte du Parjure
Est digne d'abriter vos perfides amours.

 

A ce propos, Denecourt tonne avec raison contre les nombreux imbéciles qui inscrivent leurs noms sur les flancs des rochers ou sur l'écorce des arbres les plus remarquables de 1a forêt. Mais à qui la faute? Sinon au Sylvain lui-même qui a convié M.Tout-le-Monde à venir au milieu de cette nature, qu'il admirait beaucoup mieux lorsqu'il s'y promenait seul comme un sauvage. Denecourt se laisse attendrir seulement lorsque ces inscriptions sont en vers; il se sent un faible pour la poésie, fût-elle la plus mauvaise qu'on puisse imaginer.