Je viens de lui demander s'il n'avait rien remarqué de particulier dans ces pierres qu'il casse toute la journée. « Si, monsieur, me répondit-il, on y voit surtout deux sortes de colimaçons et des petits tortillons tout petits, et, dans chacune des deux sortes de colimaçons, il y en a qui ne sont pas pareils. Chez moi, au pays, il y en a des vivantes dans les mares. »

Ce casseur de pierres est un observateur, et on pourrait l'appeler le paléontologiste sans le savoir. C'est qu'en effet il distingue très bien, sous le nom de colimaçons, des coquilles fossiles de diverses espèces de lymnées et de planorbes, deux genres de mollusques que l'on trouve uniquement dans les eaux douces et qui sont représentées actuellement par des espèces vivantes. Quant aux "petits tortillons tout petits", c'est ce que les géologues appellent des graines de charaignes, formées en réalité par la silicification de l'œuf des

végétaux d'eau douce appelés Chara, entouré d'une enveloppe spiralée résistante.
Les Chara ou charaignes sont des végétaux très particuliers, plus ou moins voisins des algues et communs dans les fossés, les marais ou les lacs.
Ceux qui ont examiné les dépôts qui se forment aujourd'hui dans les g rands lacs entourant les geysers d'Islande ou de Californie sont surpris de l'analogie frappante qui existe entre ces dépôts actuels et les sédiments anciens des calcaires de Brie, ou de Beauce.
Tels sont les documents, les faits incontestables, et si l'on y ajoute les résultats acquis par la Paléontologie, il est facile de se figurer la suite des révolutions ou plutôt des évolutions lentes qui se sont produites dans la région, depuis cette époque déjà si ancienne de l'histoire du globe qu'on nomme l'époque crétacée.
Par suite des incessants changements de niveau qui produisent les variations de limites entre les continents et les

mers, les dépôts marins, de l'époque crétacée ont émergé ou, si l'on veut, la mer s'est retirée, laissant la craie à découvert, et sur ce nouveau continent où se dessinèrent de blanches vallées comme celles qu'on voit aujourd'hui en Champagne, croissaient un grand nombre de végétaux d'allure encore subtropicale et même quelques fougères arborescentes, tandis que ces contrées étaient habitées par divers mammifères plus ou moins voisins des tapirs, des rhinocéros ou des hippopotames actuels, par des oiseaux ressemblants plus ou moins aux autruches, aux flamants, etc.
Plus tard, sur le continent dont le littoral entourait le bassin parisien, l'on voit se développer des forêts où se mêlent des essences analogues à celles qui croissent encore aujourd'hui naturellement dans les environs de Paris, hêtres, chênes, bouleaux, érables, frênes, ormes, aunes, etc.