Du bois sacré à l'arboretum
La forêt profonde, infinie, dont on ne peut saisir le tour, a toujours été mystérieuse pour l'homme.
Image du chaos primitif et des eaux primordiales, espace des manifestations d'un autre monde né du vertige des sens, elle terrorise autant qu'elle fascine.
Entre -2.700 et -3.000 Gilgamesh et Enkidu vont défier et vaincre le géant Huwawa, brute primitive, dans la forêt des cèdres embaumés.
C'est dans le bois d'Arès, à Poti, confins du monde sur la mer Noire, que les Argonautes s'emparent de la toison d'or (La toison est un emblème de la bestialité primitive).
De même, à Onchestos près du bois d'Apollon (Dieu oiseau) on trouve celui de Poséidon.
Lieu de mort et de renaissance, sous le sceau d'un secret consenti, on y pratique des rites de passage comme la cryptie ou la forme primitive de l'éphébie qui sont des morts suivies de renaissances.
Pour conjurer le sort et sa peur, l'homme de la cité a besoin d'une représentation où les dieux viendront habiter, où il célébrera les rites concourant au maintien de l'ordre dans la nature (les saisons) et dans les affaires des hommes (la paix, la guerre, les âges de la vie).
Pour cela, le sanctuaire qu'il soit temple ou simple autel, était souvent entouré d'une plantation. Ce sont les "bois sacrés" -Alsos- de la préhistoire grecque et mycénienne.
L'essence choisie, jamais en mélange, parfois fruitière, est toujours en rapport symbolique avec la divinité dédicataire.
Un bois de peupliers entoure l'autel des nymphes à Ithaque,
les chênes oraculaires de Zeus sont à Dodone. Le vent dans les feuillages parle la langue des Selles
(Σελλοί).
L'Arcadie et ses bergers chantent Déméter dans le bois sacré du Mégaron, tandis qu'au dème de Lakiadae on lui réserve la récolte d'un bois de figuiers.
Aphrodite avait son bois tant à Paphos que dans l'île de Chypre.
À Colone était le bois des redoutables Euménides.
Tout près, à Athènes, l'Aréopage gardait l'huile provenant des bois d'oliviers consacrés à la déesse éponyme.
L'Alsos de Dionysos à Mégalopolis était interdit aux hommes. Celui d'Olympie n'était ouvert qu'une fois l'an aux femmes honorant Hippodamie.
L'énumération qui précède montre à l'évidence que le souci religieux se complétait du souci d'assurer une ressource au personnel du temple et de préserver parmi les arbres des sujets exceptionnels.
Les mêmes fonctions symboliques se trouvent dans les civilisations du croissant fertile. Puis dans la catéchèse Juive et, par voie de conséquence, dans celle de l'église chrétienne primitive.
Ainsi, Matthieu (XV 13) :
Toute plantation (Futeia) que n'a pas planté mon père céleste doit être déracinée.
est repris par Ignace d'Antioche dans sa lettre aux philadelphiens :
Détournez-vous des mauvaises herbes (Botanon), que ne cultive pas Jésus-Christ, parce qu'elles ne sont pas la plantation du Père.
(III,4).
et encore, dans les Odes de Salomon :
Heureux ceux qui sont plantés dans ta terre, pour lesquels il y a une place dans ton paradis. Ils ont rejeté loin d'eux l'amertume des arbres quand ils eurent été planté dans ta terre.
(XI, 15&18).
On peut approcher ces textes par exemple de l'évangile de vérité (gnostique):
Il connaît ses plants, parce que c'est lui qui les a plantés dans son paradis." (XXXVI, 35,38).
Pour l'église chrétienne primitive la plantation d'arbres désigne une réalité collective. Plantée à la fois par Dieu le père, le fils et les apôtres, elle emplit le paradis.
Elle est l'église constituée de nombreux plants, s'y opposent les innombrables mauvaises herbes.
L'ensemble de l'image fait référence au "Reste d'Israël " d'Isaïe (Isaïe LX,21 et LXI,2).
Au même siècle, la littérature apocalyptique juive abonde d'images comparables, par exemple dans I Hénoch le peuple élu est comparé à une plantation en plusieurs occurrences et dans les Psaumes de Salomon on trouve :
Le paradis du Seigneur, les arbres de vie ce sont les saints, leur plantation est enracinée pour l'éternité; on ne les arrache pas pendant toute la durée du ciel.
(XIV 2,3).
Ln trouve encore ces images dans la littérature des gnoses juives et chrétiennes. Elles participeront aux fondements dont se réclameront plus tard les églises romaines et orthodoxes au travers d'auteurs comme Clément d'Alexandrie.
A la même époque, Pan, un autre de ces dieux uniques et universels, a pour demeure symbolique le Pin (Quand à Pan, ils lui donnèrent pour demeure, à la place d'un Pin, un temple
- Daphnis et Chloé IV,39 -).
Cette image et toutes les représentations symboliques des arbres nourrissent toujours notre civilisation.
Parallèlement aux besoins religieux, le besoin de lutter contre la faim, l'attrait du luxe (bois précieux, fruits exotiques, arbres et plantes extraordinaires), firent que, multipliant par culture les variétés utiles ou jugées remarquables, on parvint à fixer des variétés au sein des espèces naturelles, à acclimater des espèces venues de pays lointains (Cesarus avium), à pousser des espèces indigènes jusqu'aux limites de leurs possibilités écologiques (Castanea sativa).
Pour des motifs certainement proches, joints à l'influence milésienne puis aristotélicienne, la Grèce classique finissante et les centres hellénistiques, entreprirent l'étude systématique des plantes.
On a perdu les travaux d'Aristote, mais Théophraste son successeur à la tête du lycée, nous laissa deux ouvrages (Histoire des plantes - Sur les causes des plantes) déterminant les flores des parties du monde connu.
Il classe environ 600 plantes (dont les envois reçus de l'armée d'Alexandre).
Peu après Phanias introduisit la distinction entre plantes à fleurs et sans fleurs.
A Alexandrie dans les jardins du musée on cultivait non seulement des plantes médicinales, mais encore des plantes maraîchères et des arbres pour des raisons scientifiques et aussi de vulgarisation.
Dans le monde romain, la recherche fut guidée entièrement par un puissant sens pratique.
Ainsi, Virgile dans ses géorgiques expose les façons culturales arbustives pour les légionnaires démobilisés, reconvertis en soldats laboureurs, sur ordre d'Auguste.
Après le morcellement de l'empire romain, l'empire byzantin cessa à partir du VIe siècle presque toute production écrite, jusqu'au IXe siècle finissant, pour ne reprendre ensuite qu'une production religieuse.
Il faudra attendre la Renaissance en Europe occidentale pour que se fassent de nouvelles études botaniques.
Avec la découverte du nouveau monde, c'est d'ouest et par mer que vinrent de nouvelles essences. La révolution fut profonde. Elle transforma radicalement le paysage rural, les parcs et les jardins ; mais peu et très lentement le paysage des forêts spontanées et celui de la sylviculture.
Ce n'est qu'en 1636 que Jean Robin apothicaire et "Arboriste " des rois Henri III, Henri IV et Louis XIII introduisit le Robinier (faux-acacia) et la Ketmie.
Aussi bien par les jardins d'agréments entourant les riches demeures de la renaissance que par les jardins monacaux; toutes ces plantations, réelles ou symboliques, depuis l'aube de notre civilisation, sont les ancêtres communs de nos vergers (viridaria) artisanaux de nos jardins botaniques et arboretums.
Epoque contemporaine
C'est en 1777, à la fin de l'ancien régime, que Bernard de Jussieu crée le jardin botanique de Versailles et en 1836 que son neveu Laurent, crée le jardin des plantes à Paris.
Puis, au cours du 19° siècle le jardin des plantes herbacées et l'arboretum vont diverger.
Il parut vite que certaines essences étrangères poussaient mieux et étaient d'un meilleur rapport que nos essences indigènes sous notre climat et sur nos sols.
On entreprit des essais systématiques dans des zones en reboisement sur diverses espèces et variétés dans l'espèce. De fait on ne fit que d'accélérer le processus de diffusion des espèces et d'obtenir en un siècle ce qui exige des millénaires.
De ces arboretums ( le mot apparaît dans des écrits botaniques en 1862 et vers 1960 dans les dictionnaires usuels ) on tira des enseignements dont par exemple :
- • La réussite du Douglas près des côtes.
- • La sensibilité à la sécheresse d'espèces japonaises.
- • La réussite forestière ou ornementale en France d'essences comme le Calocèdre (Calocedrus decurrens), le pin des Balkans (Pinus peuce), l'Epicéa de Serbie (Picea omorika), le Noyer noir d'Amérique (Juglans nigra).
On sauva des espèces en voie de disparition comme :
- • Le Sapin de Sicile ( Abies nebrodensis ).
- • Le Pin d'Algérie ( Pinus nigra mauretanica ).