Contes et forêts

Le loup attend le "Petit chaperon rouge " au coin du bois ; le "Petit poucet" et ses frères y sont abandonnés ; "Blanche neige" y est conduite par le chasseur ; c'est en fagotant que la mère de "Jean de l'ours" est enlevée par l'ours.

Si les contes, conservés par la tradition orale, sont impossibles à dater au regard de l'histoire ; s'ils durent perdre quelques-uns de leurs traits les plus saillants ; ou, parfois, s'augmentèrent selon l'époque et la région de traits spécifiques ou anecdotiques ; un élément leur est toujours consubstantiel, la forêt.
Il n'est, quasiment pas de conte sans traversée de forêt et souvent c'est cette traversée qui marque le vrai commencement du conte. C'est là qu'apparaît pour la première fois la féérie des vieilles sorcières, des ogres, animaux qui parlent, saints en retraite.

La forêt et le conte se confondent. Comprendre la forêt, c'est comprendre le conte et inversement comprendre le conte, c'est comprendre la forêt ou plus exactement les relations entre les humains et celle-ci.

La forêt et le lieu de l'initiation subie par les jeunes gens et les jeunes filles. Les rites initiatiques, si le pays l'autorise, s'exécutaient en forêt, parfois dans une cabane ou une grotte. Les épreuves, essentiellement physiques, trouvaient un terme en une mort symbolique d'où le jeune renaissait sous forme adulte.
Il est inutile de rapporter ces contes à un stade archaïque de la société car ils continuent d'y vivre. Il n'est que de remarquer l'impact du cinéma qui les représente au passé (Le seigneur des anneaux, Willow, etc…) ou les projette dans le. futur (Star war, Starship troopers, etc…). Dans ces exemples passé et futur sont imaginaires, même si ces contes ont un souci de cohérence, celle-ci est interne au récit. Ces contes se proposent même de nous sortir de notre quotidien.
Ces contes peuvent aussi se décliner au présent "immédiat" (par opposition au présent "éternel") ils peuvent alors être la matière d'un récit initiatique et éducatif. C'est le cas célèbre du "Tour de France par deux enfants" qui servit de livre de lecture des enfants de France (Cour Moyen) pendant soixante-dix ans et plus parfois. Là, c'est une forme embellie de la réalité sociale qui prend la place du récit d'imagination. Ce conte "réaliste" débute par une traversée nocturne et terrifiante de la forêt vosgienne, on y trouve même un ermite à figure d'artisan sabotier.

La forêt des contes a de multiples fonctions, on s'y perd (Petit poucet) ; on s'y cache (Blanche-neige) ; on y a peur, on y rencontre des bêtes sauvages souvent dangereuses, parfois bienveillantes (Jean de l'ours) ; des ogres ; de bonnes vieilles et des bûcherons hospitaliers ; on y trouve parfois l'amour en délivrant un prince charmant ou une princesse captive ; on peut y vivre en ménage avec des bêtes. Mais on ne fait que passer (parfois un siècle) car tous les contes finissent bien et -adulte- on rentre à la maison ou au château.

Dans les contes, la forêt n'est pas présentée comme une collection d'arbres de telle ou telle espèce ; c'est un élément comme la terre, la mer ou l'air.

 
 

La forêt du conte a des propriétés remarquables ; on peut y marcher des jours et des ans sans y trouver âme vivante ; sans que le temps s'y écoule vraiment (Sauf la "Belle au bois dormant" qui au bout de cent ans avait "la peau un peu dure" selon Charles Perrault" ; l'héroïne ou le héros s'y perdent toujours ; on ne peu sortir de cet espace qu'ayant accompli heureusement l'épreuve prévue.

La forêt n'abrite pas que des monstres, des sorciers et des sorcières, elle à aussi des habitants utiles.
Habitant une clairière, le bûcheron qui sait les chemins, est souvent sur le passage du héros et c'est chez lui que l'égaré vient frapper en premier.
Plus inquiétants sont les charbonniers aux visages noirs comme celui du diable. Généralement ils sont installés au plus profond du bois, ils y sont familiers des bêtes sauvages même s'ils ont les mêmes fonctions salvatrices que le bon bûcheron. L'ermite est le troisième reclus de la forêt, humain et bienveillant (il met en pratique l'écriture sainte) il offre pour un soir une nourriture frugale, il annonce les étapes et les épreuves à venir.

La rencontre avec ces personnages prépare le héros à des rencontres d'un second type de personnages les bêtes sauvages.
Il lui faudra les vaincre ou faire alliance avec eux pour acquérir leurs facultés et leurs pouvoirs. Ou encore la faculté de pouvoir se métamorphoser un temps comme un double d'eux. Aigle, le héros pourra voler au sommet d'une tour inaccessible, fourmi il passera inaperçu des gardiens, lion il pourra combattre victorieusement un horrible dragon.
Parfois ces bêtes viennent, d'elle-même, au moment opportun d'un combat, porter une assistance décisive à notre héros (c'est souvent le remerciement d'une bonne action du héros à l'endroit d'une bête blessée qu'il a secourue).

Ces épreuves forestières conduisent à une acceptation du dénuement, à une perte des notions de temps et d'écarts sociaux, à une fraternisation avec le monde animal. Mais le but du voyage n'est pas la forêt elle-même, elle n'est là que pour être traversée après maints périls vaincus le héros revient au monde des hommes ordinaires.
Deux personnages ne sortent plus de la forêt. Le saint ermite qui a tout abandonné pour se consacrer à la prière. Le chasseur qui cédant à la passion meurtrière, n'est plus qu'un tueur assoiffé de sang (là le conte devient mythe), c'est le cas de la bête dans "la belle et la bête".

Voici, les structures du conte. L'initiation de cette vie en forêt a armé notre héros. Il sait maintenant, par force ou par ruse, vaincre le monstre, figure de l'ennemi occasionnel ou héréditaire ; car le destin des hommes est de verser le sang. Une fois l'ennemi vaincu, il pourra se saisir de la jeune fille au fond des bois.

Si le héros est une fille, s'instaurent d'appréciables différences. Elles ne s'allient pas avec les animaux pour mieux combattre, elles établissent un lien amoureux. Elles s'offrent à la bête comme amante et épouse. Parfois, dès la nuit de noces, la bête se révèle être un prince charmant condamné pour une quelconque raison à cette métamorphose provisoire. Si la fille demeure en forêt avec un bel animal qui ne se révèle pas être un "prince" le bonheur n'est que provisoire. Dans un monde sans obligation sociale la jeune épousée finit par s'ennuyer et veut revoir sa famille. Alors le rêve d'une éternelle jeunesse s'efface avec brutalité.
Pour les garçons l'épisode forestier est une initiation à la vie de guerrier et au métier de maître, pour les filles une initiation à la vie sexuelle et au métier de mère.
Tous deux auront connu un temps où les rapports avec la nourriture, le temps et l'espace sont presque inversés en regard du reste du monde.